lundi 7 août 2006

En retard

Y2Mars
Les gens déraisonnables aiment bien manger. Bien boire. Bien tout. Déraisonnables pour qui ?
Mais je me trompe de débat. Ce qui est important c’est : la bolognaise maison, la quiche du pique nique, les poivrons à l’huile (épluchés un à un, très très important), la belle côte de veau, les jus de fruits cent pour cent. C’est toi qui m’a appris ça. Le jour où tu m’as demandé de ramener une bouteille de jus de fruits et que je me suis rappliquée avec une bouteille de jus à base de concentré, tu m’as parlée comme si je ne connaissais rien aux bonnes choses de la vie, à moi qui cuisine ! Hu-mi-liée ! Après ça a été la farandole des jus Andros à toutes les sauces, les purs jus, les premières pressions, les avec pulpe, les avec grains, les avec dépôt au fond. Bon on a compris.
Mais c’est pas de ça que je voulais parler. Dans toute cette boustifaille, y avait un plat qui ne nécessitait pas énormément de préparation, mais qui était un cérémonial: le carpaccio de bœuf. Oh yeah babe !
Pour en arriver là, fallait deux options de départ : soit une invitation lancée et pas envie de se lancer dans une grosse cuisine, soit une bonne faim qui t’escalade tranquilou pour aller allumer l’ampoule carpaccio à la dernière minute, c’est à dire avant que le boucher ne ferme. Ca ne se décide pas plus tard que 12 h 30, dernier carat, un carpaccio. Si ça te monte à 12 h 45, pof t’es cuit, tu peux aller faire bouillir l’eau des pâtes.
Le boucher : le boucher est un voleur (c’est toi qui l’as dit en premier), MAIS il est juste à côté. Un jour, Jade qui m’avait entendue parler du boucher, me demande à voix haute alors que j’hésite avec lui entre porc et poulet : pourquoi il est voleur le boucher ? J’ai cru que j’allais m’en faire un tartare de son innocence. Le boucher est voleur sur le prix, mais pas sur la qualité, sinon je n’irais pas chez ce boucher. CQFD. Sur ce plan, on ne peut rien dire : il est irréprochable. Et pour le carpaccio, il me coupe les tranches fin fin fin, à ce prix là il peut y mettre du sien, c’est le minimum. Le plus long, c’est éplucher les patates et couper les frites, une à une, forcément. Y a la friteuse dans un coin un peu grassouille qui continue à faire son office, c’est à dire frire des frites esssstraordinaires. Les frites plongent, suivies d’une pluie de gousses d’ail en chemise, dans l’huile bouillantissime, d’où tout le monde ressortira bronzé. Y a un beat perpétuel que crachent les enceintes et qui rythme tout ce qui vibre, tout ce qui bat. Soudain t’es dans la cuisine, les odeurs transforment ta fenotte en fosse des Mariannes et t’arrachent sans douleur à l’ordinateur. Tu sors de ta tannière, battant toujours la mesure, pour te livrer au rituel scientifiquement appelé « rituel pour patienter » : quignon de pain, charcutaille et coup de rouge. Celui qui a dit « ventre affamé n’a pas d’oreilles » est un menteur. Pendant que les frites prennent le soleil, préparation de la salade à l’ail : tu vas passer ta journée au téléphone, et l’odeur est-ce qu’elle passe au téléphone ? Non. Alors ? alors deux gousses. Elle est pas belle la vie ? Fines tranches de bœuf qui font la ronde dans l’assiette, huile d’olive qui les chatouille, jus de citron qui les piquotte, copeaux de parmesan qui les illuminent, deux tours de moulin, pas de câpres j’aime pas. Frites et salade à côté, ail cuit, ail cru : que quelqu’un ici vienne me dire qu’il a des problèmes de circulation !
On s’assied, à deux, trois, quatre, cinq… les assiettes chantent, les verres chantent, les visages chantent, tes yeux chantent, les bouches s’ouvrent…
et voilà, plus un mot, plus un mot, plus un mot.
nat